Le Printemps

Tous les écrivains, tous les auteurs, tous les historiens d'art, jusque dans les années 1920, ont vu dans " le Printemps " et " la naissance de Vénus ", deux oeuvres distinctes : parce qu'un des tableaux a 37 cm de moins que l'autre !

On a ainsi longtemps pensé que le premier tableau avait été commandé et, comme il "faisait joli", on avait dû ensuite commander le second. Or, plus on regarde ces tableaux, plus on se rend compte qu'ils sont faits pour être l'un avec l'autre, l'un à côté de l'autre, pour ne pas dire l'un dans l'autre. Non seulement leur style pictural, mais aussi l'intention de l'artiste vont ensemble : l'un prépare l'autre. Avec les techniques d'aujourd'hui, on a réexaminé les oeuvres et on s'est rendu compte que "La Naissance de Vénus" avait été rabotée de 32,5 cm en haut... ce qui crée cette disparité de taille, qui veut qu'aujourd'hui : même les conservateurs des Offices n'osent pas les relier l'un à l'autre, alors qu'ils sont faits pour être juxtaposés. Ce sont des oeuvres dans lesquelles il y a un message, que nous allons déchiffrer ensemble, et une progression dans l'idée, que nous allons voir ensemble ; tout en admirant la beauté de la peinture de Sandro Botticelli.

Nous sommes donc transposés dans cette Florence des années 1480 où, autour des princes que sont les Médicis, les Vespucci, les Tornabuoni, etc., il y a les artistes, Botticelli et les autres, mais aussi les humanistes. Il ne faut pas oublier cette race nouvelle d'hommes de sciences, qui ont pour mission de faire revivre le passé, de traduire et de réactualiser Virgile, Homère, Hésiode, Pindare... Autour de ces humanistes, il y a leurs disciples, de grands penseurs, de grands philosophes et tout ce monde vit ensemble. En effet, Laurent le Magnifique réunissait chaque jour ces humanistes et artistes et, ensemble comme en un cénacle dirigé par Apollon le Prince, on faisait l'art de Florence puis les idées des humanistes étaient traduites par les peintres, sculpteurs, orfèvres, musiciens.

Nous savons que cette "Naissance de Vénus" (et "le Printemps" qui en est la suite parfaite) a été lancé, en tant que projet, par Laurent le Magnifique lui-même, traduite en vers par son humaniste préféré, Ange Politien, commentée par le petit génie Pic de la Mirandole, accréditée par le patriarche Marsile Ficin et le final a été confié à Sandro Botticelli.

 

Ces créatures blondes et frêles au visages raffinés ne sont guère conformes au type classique de l'Italienne et des femmes peintes par les autres artistes de la Renaissance. En les regardant on pense plutôt à une Ophélie de Shakespeare, à une Sirène d'Andersen ou à une jeune Hollandaise d'aujourd'hui. Leurs traits nordiques nous laissent d'autant plus perplexes, qu'elles n'ont rien de commun avec l'idéal supposé des artistes grecs et romains.

Si le sujet est effectivement antique, un des problèmes que les peintres de la Renaissance, à la différence des sculpteurs et architectes, devaient surmonter : c'est la privation totale de tout spécimen de la peinture antique. Il semble que Botticelli, avec qui, pour la première fois, on voit un peintre de la Renaissance tendre vers le "beau" comme but suprême, n'était pas particulirement tourmenté par ce problème. Lui, il avait son idéal de beauté physique : bien plus proche de sa vie, que celle des Romains et des Grecs.

nota bene : Les fleurs au sol symbolisent la jonchée d'un mariage et il semble que le tableau ait été commandé comme cadeau, offert par Laurent le Magnifique à son cousin Lorenzo di Pierfrancesco, lors du mariage de ce dernier, en 1482, avec Semiramide Appiani.

Le Printemps (cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

Il faut d'emblée constater que c'est la même forêt, les mêmes arbres, les mêmes frondaisons, le même espacement entre les arbres, la même terre, le même sol, le même semis de fleurs... que dans " la naissance de Vénus ". Autrement dit, dans ce second volet que constitue " le Printemps ", nous retrouvons Vénus, toujours en pivot de la composition, mais vêtue comme une souveraine. De la Vénus profane de tout à l'heure, nue, on passe à la Vénus sacrée, vêtue comme une matronne, au sens le plus noble du terme. En tant que telle, elle est vraiment la patronne des forces et des éléments et elle est entourée de tout ce dont elle a besoin pour triompher sur l'ensemble des douze mois de l'année, l'ensemble des quatre saisons, donc sur l'éternité.

Mercure tend son caducée pour arrêter le vent qui soufflait tout à l'heure avec Zéphyr et son frère et, par là même, il arrête le passage de l'hiver au printemps.

Le groupe formidable des trois Grâces, peut-être le plus beau jamais peint, représente l'affirmation de la Primavera, c'est-à-dire le Printemps, vers lequel est tournée Vénus. Puis le temps passe et nous voyons la représentation de l'été en Flore, dont la robe est floraison à proprement parler, et elle répand sur la terre les produits de sa générosité,.

Vient l'automne avec Chloris qui se retourne presque frileusement vers un personnage bleu, et un peu terrifiant, qui tente de la prendre. Ce personnage est Zéphyr qui, un jour, a oublié de souffler justement parce qu'il poursuivait dans les bois la nymphe Chloris.

Ce qui est absolument extraordinaire, si l'on se souvient de la "Naissance", c'est que nous avions Zéphyr, Vénus, une Grâce dans le premier tableau, et nous retrouvons ici Mercure, les Grâces, Vénus, Flore, Chloris, Zéphyr. Cela commence et cela finit par Zéphyr, donc les deux tableaux forment le cycle complet des saisons, hiver, printemps, été, automne. L'ensemble a été voulu pour nous montrer ce cycle de la nature qui est tellement propre à l'inspiration néo-platonicienne de Hésiode, telle que Marsile Ficin, Pic de la Mirandole et les autres la révéraient à cette époque. Mais cela nous montre aussi la primauté de l'amour sacré, tel qu'il est incarné ici, sur l'amour profane, sur la fragilité de l'eau et du coquillage de l'oeuvre précédente. En fait, toutes les allusions pourraient être étudiées beaucoup plus longuement pour nous démontrer la totale suite qu'il y a dans ces deux tableaux. Pour l'instant, nous allons nous promener dans "le Printemps".

A gauche, Mercure et les Grâces (+ gros plan sur le visage) et, surtout, la très belle image de Mercure élevant son caducée pour arrêter les nuages et les vents et permettre aux Grâces de danser tranquillement, la plus belle chose qui soit. Les robes ont l'air d'être transparentes, mais elles ne le sont pas car c'est à peine si on devine les corps. Les corps sont de la danse parce que l'étoffe danse vraiment et les mouvements des bras, en particulier, sont absolument sublimes. Ensuite, nous avons Vénus au centre de la composition, dans cette pose presque solennelle qui est la sienne, matronne présidant à l'année... qui se déroule avec la personne de Flore, l'un des plus beaux détails du Printemps,puis Chloris et Zéphyr, ces trois derniers personnages dans un aspect dansant, contrepoint exact du groupe des trois Grâces.

Détails du visage de Flore, le plus célèbre dans la peinture de Botticelli, de la robe de Flore qui est comme une paraphrase de la robe de la Grâce dans la Naissance de Vénus. Tout le mouvement, pour elle aussi, vient de ces fleurs traitées en anamorphose et de ce bouquet de fleurs qu'elle s'apprête à jeter dans le monde. Enfin, Chloris poursuivie par Zéphyr qui a (les deux fois) les mêmes joues gonflées ;une fois il est bleu : c'est le Zéphyr de l'hiver, l'autre fois (dans la Naissance de Vénus) il est presque jaune : c'est le Zéphyr du printemps qui embrasse tantôt la déesse romaine Flora, tantôt la nymphe de la terre Chloris.